Ce texte a initialement été publié sur le site du blog Tous nos maux. L’auteur, Darryo Augustin, a bien voulu que Kafegriye le reprenne. Partie 2 d’une histoire mouvementée et passionnante. Les opinions exprimées sont celles de l’auteur. Bonne lecture.
En 1946, une semaine de grève lancée à l’initiative des jeunes du journal la Ruche, parmi eux René Depestre, Jacques Stephen Alexis et Gerald Bloncourt, emporta sans retour la dictature mûla-triste de Lescot.
À cette occasion, une foule de revendications longtemps contenues allaient se déchaîner sur la scène politique, ce qui fera appeler ces événements abusivement “révolution”.
Car on le verra bien, s’ils permirent à un petit groupe d’intellectuels noirs et noiristes de forcer les portes de l’administration publique et par là même de changer de statut social, la grande classe des opprimés ne verra elle aucun changement véritable de son statut social, aucun soulagement à sa misère séculaire.
En effet, si l’oligarchie sous le choc pendant les premiers moments semblait accuser le coup, elle allait se ressaisir rapidement et influencer les événements de façon décisive par l’intermédiaire de son alliée la plus sûre : la Gendarmerie d’Haïti, legs de l’Occupation.
Cette dernière, conduite de main de maître par Paul Eugène Magloire, nordiste, féodal, réputé christophien, parvint de par sa couleur à brouiller les cartes en détournant les revendications sociales sur le terrain coloriste.
L’armée donnera à la classe moyenne d’intellectuels noirs et au prolétariat des villes le noir qu’ils réclament à la présidence en la personne de Dumarsais Estimé, député de Verrettes, mais pieds et poings liés (ou du moins elle le pense), à cause de ses accointances évidentes avec les régimes de Vincent et de Lescot.
Estimé gouverne, fait mieux que prévu et essaie de promouvoir un capitalisme de type noir et paternaliste. Fort de ses résultats, il veut se faire réélire.
C’est aller à l’encontre de la volonté des militaires et surtout du plus puissant d’entre eux, Magloire, qui convoite avidement le fauteuil présidentiel.
Prétextant un différend constitutionnel avec le sénat, l’armée renverse Estimé et l’envoie en exil deux jours après une démonstration populaire en sa faveur.
L’un des ministres du président Estimé, François Duvalier, fera rendre gorge à nombre d’officiers pour ce forfait un jour.
Magloire est le premier militaire dans la période post-occupation à accéder à la présidence. L’homme plutôt charismatique occupe tout l’espace politique.
Il gouverne dans l’intérêt exclusif de l’oligarchie qui le chouchoute en dépit de quelques œuvres d’intérêt général (travaux d’urbanisme au Cap et aux Gonaïves, Péligre).
Un groupe d’officiers, la “petite junte”, fait la pluie et le beau temps dans le pays sous le regard bienveillant du président.
Toutefois, déjà, au sein de l’institution militaire des rancœurs et des ressentiments se font jour entre la haute hiérarchie mulâtre et les cadres moyens et la base exclusivement noirs.
Magloire, se mêlant les pieds dans des manœuvres obscures pour conserver le pouvoir, est chassé du pays en décembre 1956. La campagne électorale débute.
Les principaux candidats Duvalier, Déjoie, Fignolé et Jumelle tentent de contrôler l’armée, seule force interne capable d’orienter le scrutin.
Les gouvernements provisoires se succèdent à un rythme effréné, le pays s’enfonce dans l’anarchie sans que l’armée ne puisse y remédier, pire elle l’aggrave.
En effet, le 25 mai 1957 des officiers dévoués à la cause de Déjoie attaquent les casernes Dessalines pour chasser le général Léon Cantave perçu comme hostile à leur champion.
Ils sont vaincus, beaucoup sont mis à la retraite mais Cantave part aussi. Place nette est faite pour le commandant militaire du département du Sud, le colonel (bientôt général) Thrasybule Kebreau, ancien séminariste de son état.
Ce dernier se débarrasse rapidement de Fignolé, le dernier président provisoire, massacre ses partisans lors d’une nuit infernale au Bel-Air, force la porte et fait piller les magasins qui veulent faire la grève. Il prend un ensemble de décrets fascistes qui feront bien le lit du pouvoir duvaliériste.
Pas forcément duvaliériste lui-même, Kebreau orienta l’élection vers celui dont l’accession au pouvoir lui parut la moins néfaste pour l’armée.
Entre l’agronome impulsif et arrogant qu’était Dejoie et ce médecin de campagne timide et peureux que semblait être Duvalier, le choix de la clique à Kebreau était vite fait, et le 22 septembre 1957 elle pava la voie magistralement à celui qu’elle croyait être une tranquille doublure. Bien mal lui en prit.
à suivre…