La naissance

Eloïse sentait tout son bas-ventre se déchirer.  La douleur était atroce. Ses hurlements semblaient la soulager, mais ce n’était qu’une impression. Le souffle lui manquait. Elle allait mal.

La petite maison dans laquelle elle se trouvait empestait l’odeur d’animaux divers. Boucs, poules, cochons, tout se mélangeait pour former un cocktail des plus irrespirables qui envahissait l’unique pièce qui servait de chambre, de salle à manger, de dépotoir, de tout.

Les murs étaient faits de paille, mais ici et là on devinait plus qu’on ne voyait, quelques lames de tôle. Dans un recoin de la pièce, on distinguait vaguement une petite table sur laquelle étaient placés un pot de chambre et une lampe tèt gridap qui diffusait une faible lumière, projetant sur les murs des ombres inquiétantes.

Il faisait nuit. Il faisait froid. Le froid la pénétrait de partout. Et cette odeur persistante, écœurante, et pourtant si familière.

– Pa okipo w ti pitan m, lòt senmèn ou p ap menm santi si la gen move sant. w ap fin abitye.

Les paroles de Grann Dedette lui revenaient à l’esprit maintenant. Le jour où elle était arrivée dans la chaumière de la vieille dame, elle n’avait cessé de remonter le nez, tant l’odeur la prenait à la gorge.

Mais Grann Dedette avait raison, on s’y habituait. Depuis dix mois qu’elle était ici, elle était bien placée pour le savoir.

Dix mois! On ne l’aurait pas dit. Les jours passaient vite. On dirait que les minutes s’étaient révoltées et avaient décidé ne plus obéir à la loi des 60 secondes.

Woooooooouyyyy koulangyèt! hurla-t-elle tout d’un coup.

La douleur l’avait rattrapée. Ses pensées avaient vagabondé mais maintenant la réalité s’imposait. Elle devait à tout prix expulser, oui expulser, cet enfant de son utérus. Et c’était dommage, car elle ne voulait pas de cet enfant. Elle ne l’avait pas souhaité. Alors cet accouchement n’était qu’une corvée dont elle devait s’acquitter au plus vite.

Pouse Elo, pouse ! me tèt èy wi! pouse toujou ou preske fini ! disait Dedette qui faisait office de sage-femme pour la circonstance. Ranmase fòs òw pitit, fè yon dènye pouse.

Eloise sentait qu’elle allait s’évanouir tant elle avait mal. Les paroles de la vieille femme n’arrivaient à elle que dans une espèce de brume ; elle était semi-consciente.

Elle décida toutefois de faire un dernier effort. Elle prit une grande inspiration et poussa de toutes ses forces déjà chancelantes.

Me li ! s’exclama Dedette toute excitée, me li, i deyò !

Elle se sentit tout d’un coup extrêmement fatiguée et faible. La dernière vision qu’elle a eue fut une « chose » gesticulant et poussant des cris aigus qui l’agaçaient au plus haut point. Elle repoussa l’enfant que lui tendait Dedette, et sans même s’en rendre compte, elle s’endormit.


Jamy

De temps en temps, pour me convaincre que j'existe, j'écris.

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